Abdelhalim Ahenchi et Didier Fouquet se sont rencontrés grâce à l’association Duo for a Job. Créée en 2013 en Belgique, elle s’est implantée à Lille en 2021. Elle met en contact des seniors retraités ou éloignés de l’emploi et des jeunes issus de l’immigration, qui veulent s’insérer professionnellement.

« C’est un enrichissement à titre personnel et ça devient presque une drogue, on a ce besoin. On se voit tous les mercredis et quand je me lève le mercredi matin, je suis content, parce que je vais rencontrer Halim, et je vais avoir ce lien. » Didier Fouquet, 66 ans, est retraité de l’informatique. On le voit à « tous les apéros entre mentors » de l’association Duo for a Job.

Elle a été créée en 2013, chez nos voisins belges, sur un double constat. « Chez les jeunes, il s’est trouvé que les personnes issues de l’immigration avaient beaucoup plus de difficultés à accéder à un emploi. Concernant les plus de 50 ans, ce sont des préjugés qui peuvent peser sur eux, peu d’opportunités à la hauteur de leur expérience, un manque d’activité. Le double constat était le même en France. La beauté de ce programme, c’est qu’on fait se rencontrer des personnes d’origines, de quartiers et d’âges différents » explique Constance Colliot, directrice de l’antenne Hauts-de-France.

En 2018, en France, le taux de chômage des personnes issues de l’immigration était de 15,3%, contre 8,3% pour les personnes non-immigrées. Les chiffres de l’INSEE montrent que le stigmate lié à l’immigration peine à être dissipé : le taux de chômage des descendants d’immigrés atteignait, la même année, 13,3%.

Le programme développé par Duo for a Job fonctionne sur une mécanique simple : associer des seniors retraités ou en fin de carrière à des jeunes issus de l’immigration qui demandent à s’insérer sur le marché du travail. Au sein du duo créé, le mentor conseille et accompagne le « mentee » pendant une période de six mois.

Des milliers de jeunes accompagnés vers une « issue positive »

Chloé Boudelle, chargée de programme chez Duo, est entre autres responsable de la constitution de ces équipes de choc. « On fait des entretiens individuels avec chaque mentor et chaque mentee, pour vraiment connaître leur parcours. Ensuite, c’est nous, en interne, qui faisons le match entre un mentor et un mentee. Cet entretien nous permet de savoir s’il nous faut se concentrer sur le secteur – par exemple un jeune qui veut s’insérer dans l’informatique avec un mentor qui y a travaillé – ou alors un match de « personnalité » pour un jeune qui a plutôt besoin de développement personnel… Ensuite, les mentors et les mentee se rencontrent une première fois et c’est à eux de décider s’ils travaillent ensemble ou pas. »

Jeunes et mentors s’engagent à se retrouver 2h par semaine, jusqu’à trouver un emploi, une formation diplômante ou même une alternance, si le projet professionnel a dû être redéfini. Duo for a Job représente un jalon final sur le chemin de l’insertion. « Le dispositif n’est possible qu’une seule fois. Avant de faire entrer les jeunes dans le programme, on attend qu’ils soient dans des conditions idéales, expose Constance Colliot. Par exemple, s’il y a encore des progrès à faire en Français, on va attendre un peu pour qu’il puisse se consacrer à sa recherche d’emploi. » Selon la directrice de l’antenne, sur les 4000 jeunes passés par le programme, 71% y ont trouvé une « issue positive », emploi ou formation.

Depuis décembre, Didier Fouquet s’est donc engagé à épauler Abdelhalim Ahenchi, 27 ans, arrivé en France il y a quelques mois en tant qu’époux de français. « Je suis marocain et j’ai une licence en économie-gestion des entreprises. A cause de problèmes financiers, je n’ai pas pu finir mes études malheureusement. Je faisais du surf, depuis que je suis petit, et j’habitais dans un village où il y a beaucoup de tourisme, c’était plus facile pour moi d’accéder au travail directement. Ensuite, j’ai rencontré une fille, qui est devenue ma femme. On a décidé de venir en France. Et ça se passe bien ! Bon, il fait un peu froid… », plaisante le jeune homme débarqué à Lille. 

Culture, administration, aides sociales : une « boîte à outil » pour les jeunes

Abdelhalim Ahenchi a pour objectif de terminer son cursus, pour pouvoir exercer comme comptable. Pour lui, l’un des défis a été de s’imprégner de la culture française, en particulier celle du monde du travail. « Je le dis sans aucune notion péjorative, certains pays sont moins portés sur le respect des horaires, d’engagements précis. Dans le milieu professionnel français, on est très, très carré : si on a promis de rendre un rapport, il faut le rendre, et dans les délais. Le changement de culture, c’est un travail de longue haleine ! », sourit gentiment Didier Fouquet.

Tous les mentors reçoivent d’ailleurs une formation avant de commencer leur mission. « Elle couvre un large spectre sur ce qu’est l’immigration, l’arrivée des jeunes en France, les problèmes qu’ils rencontrent, résume le retraité. On aborde aussi le plan psychologique, culturel, cultuel. Il y a une sensibilisation à accueillir l’autre, à s’adapter à l’autre. C’est important de poser les bases ». Lui-même a beaucoup voyagé, et vécu 3 ans au Cameroun.

Au-delà de ces rencontres, le programme Duo for a Job a été conçu pour donner une boîte à outil aux jeunes issus de l’immigration. « Par exemple, on s’est rendu compte avec Didier que moi, je comprends très bien le français, mais je fais des fautes d’orthographe et pour travailler dans une boîte, ce n’est pas terrible. Et là, on m’a mis en contact avec une autre association, la Clé, pour progresser en français, apprécie Abdelhalim Ahenchi. Il y aussi de quoi connaître ses droits, savoir comment ça se passe en France. C’est là que j’ai découvert l’aide au logement, moi je ne savais pas que ça existait. »

A son arrivée en novembre, le jeune marocain s’est d’ailleurs heurté aux impossibilités et aux circonvolutions de l’administration française. L’ouverture d’un compte en banque, par exemple, a été un parcours du combattant. « J’arrive dans une banque, j’explique, et on me demande si je travaille. Je dis non, puisque je viens d’arriver, et il me faut un RIB pour avoir un numéro de sécurité sociale. Mais c’est un cercle vicieux ! Je n’ai pas mon numéro de sécurité sociale, ça me bloque aussi pour travailler. Chaque fois que j’appelle, on me dit que c’est en cours », regrette-t-il

« Le croisement des êtres ne peut apporter que du bien »

Après deux mois d’accompagnement, Abdelhalim Ahenchi peut pourtant déjà compter une victoire : le 22 mai, il entamera un stage en immersion de plusieurs mois, pour découvrir le métier de comptable.

« Il me faut ce stage pour valider mon dossier et accéder à ma formation. Je suis trop content ! » A l’issue de ce stage, le mentorat de 6 mois sera déjà terminé, mais ni Didier ni Abdelhalim ne souhaitent rompre le contact. « On a une relation à la fois professionnelle et amicale », sourit l’étudiant. « Halim m’apporte énormément : on a cette impression de mener quelqu’un au bout de sa démarche, abonde son mentor. C’est pour ça qu’une fois le mentorat terminé, j’aurais toujours envie de l’aider. » 

D’après lui, tous les mentors avec qui il a pu échanger souhaitent se lancer dans un nouvel accompagnement à l’issue de leur mission. « De par ma culture, mon ouverture sur le monde, je me rends compte que le croisement des êtres ne peut apporter que du bien. C’est un mélange de cultures, chacun a des choses à amener et à donner à l’autre. Ce qu’il se passe au niveau mondial et français, n’est pas acceptable, ce n’est pas comme ça qu’on arrivera à faire quelque chose. »

En 2022, l’antenne lilloise de Duo for a Job espère pouvoir créer 60 nouveaux duos mentor-mentee et recherche activement de nouveaux seniors motivés par cet échange unique.

Source : FRANCE 3

Changez l’avenir d’un.e jeune… et le vôtre!